Identité numérique : équilibre entre prudence et innovation

Depuis la création de l'état civil en France, l'établissement, la gestion et la sécurisation de l'identité du citoyen est une prérogative régalienne. C'est dans cette perspective que l'Etat français a initié depuis plusieurs années la modernisation de la carte nationale d'identité, qui arrive aujourd'hui peu à peu dans nos portefeuilles.

Vincent Gourmelen

Vincent Gourmelen

Directeur des ventes et du marketing au niveau mondial pour le gouvernement

Je supervise la stratégie marketing et commerciale de Linxens Government. Je travaille dans le secteur de l'identité gouvernementale depuis plus de 10 ans. Avant de rejoindre Linxens, j'ai travaillé pour d'autres acteurs majeurs du secteur tels que HID Global et Arjo Systems.

En effet, disposer de systèmes d'identification stables est essentiel pour les gouvernements à bien des égards. L'identification officielle est nécessaire au développement social, économique et politique des nations. Elle est également nécessaire pour les populations, en leur permettant d'accéder aux droits et services de base (éducation, emploi, vote, justice, propriété, etc.), entrant ainsi dans le cadre de l'objectif 16 des Objectifs de développement durable des Nations unies. C'est aussi une priorité dans le contexte d'une tendance croissante à la maîtrise des flux migratoires internationaux et une mesure indispensable dans un monde hyperconnecté où les transactions sont désormais dématérialisées et doivent être authentifiées.

Mise en garde, mise en garde....

Pour combler le "fossé identitaire" existant - rappelons que, selon l'ONU, un quart des enfants de moins de cinq ans n'ont jamais été enregistrés à la naissance - la tendance est à l'utilisation des nouvelles technologies, dont la biométrie des identités, qui vise à renforcer l'authenticité des documents d'identification. Avec la biométrie, les données enregistrées sont la garantie d'un haut niveau de sécurité et de fiabilité. La biométrie ouvre également un large éventail de nouvelles fonctionnalités.

Cependant, comme l'ont montré les nombreux débats sur la nouvelle carte d'identité à l'Assemblée nationale française, il s'agit d'un sujet qui doit être appréhendé sur le long terme et avec prudence, car il touche à des questions majeures telles que l'éthique, l'inclusion, la protection des droits, la sécurité et la confiance dans les institutions. Au-delà des débats des parlementaires, la CNIL en France est venue sécuriser le cadre, en adressant à plusieurs reprises des recommandations au gouvernement pour une gestion des données biométriques respectueuse du citoyen. En particulier, le débat sur la durée de conservation de ces données a été vif. Il est clair qu'avec la dématérialisation accélérée des formalités administratives et l'essor des outils numériques de démocratie participative, la gestion et la redéfinition de l'identité des citoyens sont à nouveau questionnées. 

En outre, ces nouveaux documents d'identité peuvent parfois devenir une source d'inquiétude, en raison de la technicité du sujet et de la gestion des informations d'identité personnelle. Par conséquent, le rôle de l'Etat est aussi d'informer et de rassurer ses citoyens sur la sécurité de ces nouveaux documents d'identité et de leurs nouveaux usages numériques. Une véritable campagne de sensibilisation serait certainement bénéfique pour une meilleure compréhension de ce nouvel objet que tous les Français posséderont bientôt.

...mais pas trop!

C'est assurément un pas de géant que fait le gouvernement français en adoptant cette nouvelle carte d'identité biométrique, qui sera obligatoire à partir de 2031. La France suit enfin l'exemple de ses voisins européens (en Belgique, la carte électronique existe depuis 17 ans, au Portugal depuis 2007), en permettant à sa carte d'identité de retrouver sa valeur originelle, reconnue à l'international. 

Mais au-delà de la nouvelle carte elle-même, le développement des solutions d'identité biométrique ouvre la porte à de nouvelles fonctionnalités et opérations. Déjà adoptée par la population belge pour se rendre à la pharmacie, louer un bien ou immatriculer une voiture, la nouvelle carte d'identité française pourrait rendre accessibles de nombreux services, tels que l'inscription sur les listes électorales, la demande d'aide sociale, les télé-consultations médicales, etc. Cette avancée pourrait également concerner le secteur privé, comme l'ouverture d'un compte bancaire, le suivi de son assurance, la demande de crédit, comme c'est le cas pour la population monégasque qui peut utiliser sa nouvelle carte d'identité depuis l'été 2021 pour accéder non seulement à de nombreux services publics mais aussi à des services privés comme l'opérateur téléphonique ou la compagnie d'électricité de la Principauté.

A l'instar des nouvelles fonctionnalités des cartes bancaires - comme le paiement sans contact, qui a connu une accélération spectaculaire lors de la crise sanitaire car les utilisateurs ont compris qu'ils en tiraient un bénéfice direct, à savoir la possibilité de ne pas toucher un terminal de paiement - le contexte sociétal, ainsi que l'éducation, l'information et la démocratisation des nouveaux usages de la carte nationale d'identité, sont des facteurs essentiels pour son adoption par la population. Il est donc crucial d'offrir rapidement des avantages directs sous forme de services supplémentaires. Or, ceux-ci ne sont pas encore évoqués en France.

Notons également qu'un décret autorisant la création d'un " moyen d'identification électronique " a été publié au Journal Officiel le 26 avril dernier. Depuis mai 2022, une version bêta d'une application mobile développée par le gouvernement français permet de prouver son identité à partir de son téléphone portable. Cependant, ce moyen d'identification ne peut remplacer la carte physique puisque son objectif est principalement de générer une preuve d'identité pour les services et organismes publics et privés en ligne.

Les nouvelles solutions technologiques d'identité, et plus largement ces nouvelles politiques d'identification des individus, opposent la prudence et l'innovation, les perspectives de surveillance et celles de reconnaissance. Si l'universalisation des droits de l'homme par la technologie reste une illusion, l'accès à une identité pour les uns, à de nouvelles fonctionnalités pour les autres, sont des questions qu'il est urgent d'envisager sans craindre la technologie.